Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
le sari dévoilé
Publicité
le sari dévoilé
Archives
30 mars 2014

Le cri des femmes indiennes

 


noname

La femme est le symbole d'un paradoxe.
Le 16 décembre 2012, une étudiante indienne de 23 ans a été violée à plusieurs reprises, dans un autobus, en pleine journée, agressée sexuellement avec une barre de fer, puis jetée hors du bus, à moitié nue après que son petit ami fut passé à tabac par les agresseurs. 
Alors que d'innombrables manifestations, organisées par des associations féministes mais pas seulement, ont embrasées plusieurs villes de l'Inde, que les médias indiens et étrangers se sont fait l'écho de la situation parfois dramatique de la femme dans ce pays, quelques journaux et sites français ont évoqué cet acte particulièrement odieux. En revanche, aucune réaction n'a été constatée au sein des diasporas européennes et notamment françaises. Pourtant, ces revendications exceptionnelles avaient débouché sur l'adoption par le Parlement d'une loi durcissant les sanctions contre les auteurs de violences sexuelles.
Mais rien n'y fait. Lundi 20 janvier 2014, les condamnations se sont multipliées parmi les dirigeants politiques indiens après le viol collectif, d'une femme de 20 ans à la suite d'une sentence rendue par le conseil de son village de Subalpur, dans l'Etat du Bengale-Occidental (nord-est du pays). 
Il est vrai que la femme en Inde est le symbole d'un paradoxe. Sans doute, cristallise-t-elle à elle seule les contradictions de la société indienne toute entière.  Adulée par le cinéma indien, qui l'assimile à une déesse, elle devient l'image factice de la beauté et de la grâce. Elle symbolise l'idéal féminin, que l'on retrouve dans les formes généreuses de la magnifique statuaire indienne, inspirée par les codes de la réthorique hindouiste.
De mes voyages en Inde, je ne me souviens que de petites filles adulées par leur père, honorées par une cérémonie lorsqu'elles deviennent nubiles et choyées par des parents aimants et fiers.
J'ai vu des femmes épanouies et libres dans mon périple dans le sud de l'Inde. Et que dire de ces ministres, ces chefs d'entreprises, ces étudiantes...au féminin qui font partie intégrante de la société indienne moderne ?
Et pourtant.
Les traditions séculaires de l'Inde n'épargnent  pas les femmes.
Derrière l'iconographie de l'idéal féminin, se cache un système traditionnel, ancré dans une société hiérarchisée, où la femme indienne, dans les régions rurales et conservatrices, a une place souvent inférieure à celle des hommes, et plus encore s'il s'agit d'une intouchable.
Si les classes moyennes et éduquées se sont souvent (pas toujours) affranchies de ces blocages culturels et religieux, c'est loin d'être le cas  pour une trop grande partie des femmes de l'Inde.
Infanticide de petites filles, viols, maltraitance, inégalités sont des constantes que l'on ne peut ignorer si l'on observe de près la condition féminine de ce pays. Le déséquilibre démographique, avec près de 980 femmes pour 1000 hommes, est la transcription de cette réalité tragique. Un sondage de La Fondation Thomson Reuters (auprès de plus de 200 experts mondiaux)  met en avant 5 pays jugés les plus dangereux pour les femmes : l’Afghanistan, la République démocratique du Congo (RDC), le Pakistan, l’Inde et la Somalie. Le Gouvernement indien a bien compris les enjeux économiques et sociétaux que peuvent engendrer ce problème dans un pays de plus d'un milliard d'habitants. L'Etat fédéral du sous-continent ne cesse d'organiser de vastes campagnes de sensibilisation dans toutes les régions pour éduquer la population.
Mais ces viols collectifs, loin d'être unique, ont délié les langues et déchainé les passions en Inde. C'est tout un mouvement populaire qui s'est réveillé, témoin d'une société en mutation et en pleine croissance économique, qui n'accepte plus les inégalités sexuelles voire sociales, malgré le fatalisme de l'âme indienne. Dans un monde aujourd'hui ouvert, exposé aux yeux de la communauté universelle, certains indiens refusent le fatalisme et l'atavisme traditionnel de leur pays.
D'origine indienne et née en France, je n'ai jamais assisté à un réel débat sur cette question au sein de mon cercle amical ou familial. Dans mon entourage d'origine française, on généralise souvent et l'homme indien se retrouve accusé de tous les maux : on le prend pour un violeur potentiel et le pays prend parfois l'allure d'un far west où toutes les femmes deviennent des victimes potentielles.
Dans mon entourage d'origine indienne, lorsque je me rends à des manifestations culturelles, il n'est question que du modèle économique indien (pourtant en perte de vitesse...), de la richesse artistique et culturelle du pays (bien réelle) et de la gloire des jeunes beautés du sous-continent, magnifiées par des costumes de danseuses traditionnelles ou de Bollywood. Moi-même, présidente d'une association franco-indienne, je n'ai pas échappé à la règle.
La diaspora indienne de France reste souvent figée dans le souvenir d'une Inde idéale.
Entre ces deux jugements opposés mais qui cèdent à la facilité des clichés, ne faut-il pas entendre aujourd'hui l'appel que nous lance une partie de la société indienne? Le viol de ces jeunes femmes est le symbole d'une condition inférieure et d'une souffrance, relayées largement par les réseaux sociaux, les internautes et les médias indiens. La diaspora indienne de France reste souvent figée dans le souvenir d'une Inde idéale. Mais l'Inde bouge, les indiens subissent ou réagissent aux changements profonds que l'économie de marché, les mutations profondes du monde rural, l'évolution de la démographie, l'explosion des villes...leur imposent, pour le meilleur et pour le pire.
Juste en parler pour que cette souffrance et ce cri soient entendus
Que ce soit pour parler de ces problèmes négatifs ou au contraire d'admirer ses succès, le fait d'évoquer cette Inde du 21ème siècle ne peut contribuer qu'à faire évoluer les mentalités. Il serait interessant de traiter de ce sujet en France pour se mobiliser, dénoncer ou tout simplement parler de ce fléau. L'Inde ne pourrait tolérer que son image se ternisse,  dans un contexte de concurrence économique et de course au positionnement dans le monde. L'une des plus grandes démocraties de la planète, reste parfois impuissante face à  ses démons intérieurs. Mais l'Inde tisse aujourd'hui des liens vers tous les continents et si nous réagissons, nous écrivons, nous nous exprimons sur la condition des femmes en Inde, sans doute notre  petite voix se fera-t-elle entendre ? Il est important que l'on prenne conscience en France et notamment au sein de la communauté indienne que nous sommes une force à travers les forums et réseaux sociaux.
Parce qu'il ne s'agit pas ici de défendre  une cause féministe et communautaire. En refusant d'accepter et de tolérer le traitement et le  statut inférieur dévolus à une grande partie des femmes en Inde, il s'agit de défendre l'intégrité, la dignité et le respect de l'être humain.
Caroline Kéribin 
Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité